mercredi 15 septembre 2010

Changement au recensement long, non!




Un petit résumé de cette problématique pour ceux qui sont moins familiers avec le recensement : auparavant, Statistique Canada faisait un recensement aux cinq ans (le prochain aura lieu en mai 2011). Déterminé au hasard, 80 % des ménages recevaient un questionnaire « court », contenant environ 8-10 questions (principalement le sexe et le groupe d'âge, le lien entre les personnes du ménage et l’état matrimonial).

L’autre 20 % des ménages recevait le questionnaire « long ». Ce questionnaire prend du temps à remplir car il contient de nombreuses variables complémentaires, dont voici la liste :

  • Données sur les familles (taille de la famille, nombre d'enfants, familles monoparentales, etc.)

  • Propriétaires et locataires, état du logement et période de construction, type de construction résidentielle - individuel, appartement, etc.; cout du loyer et dépenses de logement

  • Langue maternelle, connaissance des deux langues officielles, première langue officielle parlée, langue parlée le plus souvent à la maison et langue utilisée le plus souvent au travail

  • Mobilité  - ayant ou non déménagé, et venait de où avant de déménager ; citoyenneté ; statut d'immigrant et le lieu de naissance ; période d'immigration et âge à l'immigration

  • Identité autochtone

  • Population totale de 15 ans et plus selon l'activité - emploi, chômeurs, etc. Très détaillé selon le type de famille, la présence d'enfants dans le ménage, etc.
Population active selon la catégorie de travailleurs, selon la profession, selon l'industrie qui l'emploi, selon le lieu de travail, selon le mode de transport pour aller au travail

  • Population selon le principal domaine d'études, selon la scolarité et selon le lieu des études

  • Population totale selon les groupes de minorités visibles et selon l'origine ethnique

  • Revenu total de la population, selon homme ou femme, selon le type de ménage, selon le type d'emploi (temps plein, partiel, etc.), très détaillé selon plusieurs variables
Revenu total après impôt de la population de 15 ans et plus
Composition du revenu : revenu d'emploi, transfert gouvernementaux, autres
Revenu total du ménage privé, selon plusieurs variables sociodémographiques

On constate l’importance du questionnaire long, n’est-ce pas ? Pour ce qui est de ma profession, de nombreuses variables du questionnaire long sont prises en compte dans chacune des études de marché.

Or, le gouvernement Harper a décidé de ne plus rendre obligatoire le questionnaire long et de l’envoyer à 33 % de la population au lieu de 20 %, pour tenter d’augmenter le taux de réponse final.  Donc tout le monde aura le questionnaire court, et dans les semaines qui suivent, 33 % des ménages recevront le questionnaire long, qui sera volontaire – quelqu’un qui ne veut pas y répondre n’y sera pas obligé.

Ce changement majeur méthodologique pose de nombreux problèmes et questionnements :

  • De rendre volontaire le questionnaire long ne fait aucun sens méthodologiquement, même en augmentant de 20 à 33 le pourcentage des ménages qui le recevront.

    D’enlever la partie hasard et obligatoire vient complètement chambouler toutes les règles de sondages rigoureux. Cela ne fait aucun sens méthodologiquement selon tous les experts qui se sont prononcés, et je les approuve.
Pourquoi ? Certains ménages n’y répondront pas, par manque de temps (ménages ou les deux travaillent, avec jeunes enfants, etc.) ou par peur ou ignorance (ménages ethniques, immigrants récents, ménages pauvres, autochtones, gens peu scolarisés, etc.).

 «Augmenter la taille de l'échantillon comme le propose le gouvernement ne corrigera pas le biais. Il fera seulement en sorte que plus de monde de la même catégorie répondra.»
(Ivan Fellegi, ancien directeur de Stat Can de 1985 à 2008).

De plus, on ouvre aussi la porte à des efforts concertés de groupes de pression divers, dont les membres pourraient y répondre systématiquement avec des réponses dictées.

Tout ça est donc très dangereux pour la fiabilité statistique des données !

D’ailleurs, les deux anciens directeurs de Statistique Canada le confirment et disent que cette nouvelle méthode ne produira pas de statistiques fiables. Le contraire relève de la pensée magique.

Il sera aussi impossible de comparer l’évolution d’une population d’un lieu entre les recensements, car les données de 2011 seront possiblement biaisées, et sans que l’on ne puisse jamais savoir à quel point elles le seront !


  • L’argument économique. Le nouveau questionnaire sera envoyé à 33 % des ménages, et dans les semaines qui suivent le recensement, ce qui coûtera nettement plus cher que la méthode de 2006 (d’au moins 30 millions $).

    Donc le coût du recensement augmente et la fiabilité va diminuer. Super, le résultat !

  • La propagande. Oui, la propagande autour de cette affaire ! Je ne veux pas faire de politique, mais il faut constater que les conservateurs n’ont pu expliquer clairement les raisons de ce changement.

-       Statistique Canada n’a jamais eu de toute son existence de problème de confidentialité (malgré ce que Tony Clement affirme quand il dit que le questionnaire est intrusif dans la vie privée des gens).

Sur la question de la confidentialité : «Statistique Canada est obsédée par les questions de vie privée. Jamais, jamais, n'y a-t-il eu un cas de fuite d'informations pouvant être reliées à une personne. Jamais.» (Ivan Fellegi, ancien directeur de Stat Can). C’est clair !

D’ailleurs, les bases de données ne comportent pas de noms, et il est ainsi impossible de relier les informations à des individus particuliers.

-       Il n’y a eu que trois plaintes aux recensements de 2001 et 2006 (non, les Canadiens ne sont pas en colère contre le recensement, malgré ce que le toujours très drôle Maxime Bernier affirme) et non, personne n’est jamais allé en prison pour ne pas avoir rempli le questionnaire du recensement.

-       Aussi, accessoirement, mais c’est selon moi symptomatique du niveau du débat, Stat Can n’a jamais demandé le nombre de salles de bain d’une maison (malgré ce que le Ministre des Transports, John Baird, disait pour ridiculiser le recensement long).

On peut ainsi se demander s’ils savent vraiment de quoi ils parlent, ou s’il s’agit de propagande. Car leurs arguments ne tiennent simplement pas la route : ils n’ont aucun sens.

Je vous soumets la phrase suivante tirée d’un communiqué du bureau de monsieur Harper : «Les Canadiens ne veulent pas que le gouvernement sonne à leur porte à 22 heures pendant qu'ils sont occupés dans leur chambre à lire, par exemple, parce que celui-ci veut savoir combien de chambres leur maison compte».

Wow, quelle image, mais sans aucun bon sens !

Force est de constater qu’il s’agit probablement de changements idéologiques, pour fidéliser la base conservatrice de l’Ouest, ce qui est encore plus terrible pour l’avenir de Statistique Canada.

De plus, il faut aussi rappeler que l’annonce a été faite en quasi secret durant le somment du G8 de Toronto, et juste avant les congés de fin juin et début juillet. Ce procédé est plus que discutable.

Aussi, le recensement des agriculteurs restera lui, obligatoire. Intéressant, non ? Tony Clement a expliqué que ces informations étaient nécessaires «pour aider les agriculteurs». «Ce qu'on dit aux associations d'agriculteurs c'est : « Remplissez le formulaire, cela aidera le gouvernement à vous aider et à aider vos activités agricoles.» La même logique devrait aussi s’appliquer au recensement de la population, non ?

  • Oui, le questionnaire « long » prend plus de temps à remplir (environ une heure), mais il faut se rappeler que tout Canadien n’aura à le remplir qu’environ trois fois durant toute sa vie
    (soit 20 % de chances aux cinq ans), pas plus.

    Est-ce trop demander aux citoyens, vraiment ? D’ailleurs les sondages montrent que la population est aussi contre cette décision. Vivre en société entraîne certaines obligations.

  • L’utilité du recensement. Depuis cette annonce, de très nombreux organismes sociaux, entreprises, universitaires, chercheurs en santé, étudiants, chambres de commerce, municipalités, provinces, économistes, éditorialistes, analystes en marketing, journalistes, etc. ont dénoncé cette décision sotte.

  • Pourquoi ? Le nombre d’analyses tirées du recensement long est énorme et son importance incalculable dans de nombreux domaines : organismes à vocation sociale (lutte pour l’alphabétisation ou contre la défavorisation, offre de programmes ciblés selon la population, réalisation de marchés publics pour aider les populations démunies et sans voiture à acheter des produits frais à bons prix, etc.), santé (analyses croisées avec les taux d’incidence de maladie ou de décès), sociologie et toutes les sciences humaines, planification du transport en commun, planification municipale (parcs, bibliothèque de quartier, etc.), etc. mais aussi bien sûr pour les entreprises, qui se servent de ces données pour de multiples raisons.

Par exemple, les commerces qui font des études pour implanter de nouveaux magasins ont un besoin crucial de ces données, pour mieux connaître le potentiel de marché du secteur où ils envisagent de s’implanter, évitant ainsi une faillite ou une fermeture coûteuse de magasin. On parle ici de grandes chaînes, mais aussi de petits commerces familiaux qui utilisent aussi ces données pour prendre de meilleures décisions.

Qui sera responsable des faillites découlant de données possiblement erronées?

Ces statistiques doivent donc être précises. La fiabilité du questionnaire long est tout simplement un point sur lequel il ne peut y avoir de discussion. Le recensement doit être considéré comme un bien public essentiel.

J’ai eu la chance de faire des études de marché dans de nombreux pays et je peux vous dire que Statistique Canada est exceptionnel en ce qui a trait à la réputation de fiabilité et de rigueur. Ce changement jettera le discrédit sur Statistique Canada.

La semaine dernière encore, un organisme international, l'«Integrated Public Use Microdata Series International», ou IPUMS-International, qui compile et compare les statistiques des différents pays, a dit qu’il n’utiliserait plus ces données car elles ne seraient plus fiables…

De plus, nous ne savons rien de la nouvelle étude proposée pour remplacer le recensement long. Sera-t-elle aussi précise géographiquement ? Aura-t-on un portrait précis de tel quartier de Montréal ou de Québec ? De la petite municipalité de St-Agapit ? J’en doute. Alors pourquoi alors jeter quelque chose qui n’est pas cassé ?

Alors il faut supporter la poursuite en Cour de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, qui cherche par les tribunaux à forcer le gouvernement à réviser cette décision absurde.

Aussi, les travaux recommencent cette semaine. Si vous connaissez un député, faites lui part de votre opposition à ce projet. Il est peut-être encore temps de renverser cette décision!

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